11-Le chantier de l’entre-deux-guerres
Ce serpent continu de lourds bâtiments de briques rouges « ceinturant Paris de 30 kilomètres de honte », selon la formule de Le Corbusier.
HBM boulevard des Maréchaux, Paris. Par Robert Doisneau, 1936
Concepteurs et gestionnaires
L’aménagement des fortifications donne naissance à de nouveaux opérateurs. La ville de Paris, par exemple à la porte d’Orléans crée un nouvel opérateur : la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP) pour associer le capital privé à l’opération.
Des dizaines de milliers de logements sont construits par une autre société d’économie mixte, la Société Anonyme de Gestion Immobilière (SAGI) qui les confie tous à un seul architecte : Louis-Clovis Heckly, l’architecte qui a construit le plus de logements à Paris au xxe siècle.
Des types d’HBM inégalitaires
Les fortifications de Thiers furent obsolètes dès leur construction et les programmes de grands travaux, lancés par les gouvernements successifs en 1934, 1935 et 1936 pour lutter contre le chômage ne firent rien pour le logement.
Au total, la Ville de Paris, en vingt ans, aura réalisé 50 000 habitations à bon marché et 20 000 habitations à loyer moyen. Piètres résultats comparés aux 120 000 logements construits à Berlin, ou aux 250 000 construits à Londres, pendant la même période.
Le Corbusier
En 1933, Le Corbusier dénonce dans La Ville radieuse :
« les trop fameuses HBM des fortifications, désastre architectural et désastre urbanistique, monstres créés à la barbe de la population et du pays. On reste stupéfait ! Personne ne proteste ! Des milliers de familles se sont encavées dans ces taudis tout neufs. Des milliers de familles ne verront jamais le soleil ! »
S’il pouvait se permettre, à l’époque, de s’indigner contre l’urbanisme des HBM en le comparant à ses propres projets, combien plus hygiénistes et plus rationnels, aujourd’hui la comparaison tournerait sans doute à son désavantage : la monstruosité a changé de camp !
Un projet emblématique du Salon d’Automne de 1922, pensé initialement pour la ceinture, cet immeuble villas dans lequel il propose une formule neuve d’habitation de grande ville. Chaque appartement est une petite maison avec jardin. Sur le toit, une piste de 1000 mètres pour courir à l’air.
Parce que ce n’est que sur la ceinture, en 1922, que des terrains de 200 mètres par 50 sont disponibles. Il rêvera aussi pour l’exposition de 1937 de créer un gratte-ciel cartésien sur le bastion Kellermann, meilleur stratégie, selon lui, pour préserver le bastion n° 84, dominant la Poterne des Peupliers.
En 1933, Le Corbusier considère encore que Paris peut vivre dans la limite de ses fortifs :
« Il est fou d’aller en banlieue, d’équiper la banlieue, de consentir l’effroyable gaspillage des banlieues, d’imposer le martyre des banlieusards à deux millions d’habitants. Il faut rentrer en ville. Telle est la tendance et non pas celle de l’exode. »
Le projet de réaménagement de Paris baptisé le Plan Voisin où Le Corbusier proposait sans rougir de reconstruire la rive droite. Le projet comprenait une cité d’affaires de 240 hectares allant de la place de la République à la rue du Louvre et de la gare de l’Est à la rue de Rivoli. Le Marais, le Temple et les Archives auraient été rasés.
La Banlieue de Paris
« Peut-on imaginer quelque chose de plus désespérant que ces logements de deux pièces, trois pièces entassés les uns sur les autres jusqu’au septième étage à raison de deux, trois douzaines de portes par palier dans des couloirs interminables, ces paquets de grands immeubles en redans construits avec un matériau préfabriqué qui ressemble à du carton-pâte ou à du papier mâché (j’entends bien du papier hygiénique mâché après usage), ces îlots où plus rien n’est français, sauf la voix des bandes de gosses rivaux qui se chamaillent le soir au fond des cours, les petits bébés qui crient toute la nuit, faisant les dents, ayant les vers, et ce sont leurs pleurs inextinguibles qui percent cloisons et façades et, le matin, à l’heure de la radio, les ménagères s’agonisent de balcon à balcon en secouant leur literie, des mégères qui se crêpent le chignon au marché. Il y a encore le bruit des poubelles qui est bien de chez nous, sinon on se croirait en Tchécoslovaquie tant tout cela est rationalisé d’une façon primaire. »
Blaise Cendrars, La Banlieue de Paris, 1949
Réaction populaire et littéraire assez violente, même si beaucoup de gens arrivent à se loger grâce à ces ensembles auxquels participe Le Corbusier qui dénonce les « 30 kilomètres de honte ». Il est possible qu’il trouve surtout honteux qu’on ne lui ai pas passé commande.
De nouveaux parcs
Entre les ensembles d’habitation et sur les terrains de la zone et parfois de l’enceinte, sont aménagés un certain nombre de jardins comme le parc de la Butte du Chapeau Rouge, élaboré par Léon Azéma dans le XIXe arrondissement et le square Kellermann élaboré par Jacques Gréber, (architecte-paysagiste-urbaniste) au moment de l’exposition universelle de 1937.
De grands espaces libérés
Il y a aussi quelques opérations singulières comme la Cité Universitaire ou le Parc des Expositions de la porte de Versailles qui est monté par une autre société d’économie mixte de la Ville de Paris. La dimension expérimentale de cet espace est inconcevable aujourd’hui. On y invente certaines architectures, des techniques de gestion, mais aussi des modalités de transformation et de modernisation de la ville.
L’ouest soigné
À la hauteur de Boulogne-Billancourt, sont construits des équipements sportifs (le Parc des Princes, le stade Jean Bouin, la piscine Molitor). Ici, pas de logements sociaux, notamment dans la partie nord, entre la ville et le Bois de Boulogne, mais des logements de très bonne qualité construits par la SAGI et l’inévitable Heckly, des jardins encore plus beaux à la hauteur de la porte de La Muette, bref, des ensembles de logements magnifiques construits par l’architecte Jean Walter, l’architecte de l’hôpital Beaujon.
La porte Saint-Cloud
Autre point singulier, où voisinent des immeubles de la RIVP (des HBM améliorées pour la classe moyenne) de même gabarit et à l’intérieur de Paris, les deux fontaines monumentales réalisées pour marquer l’entrée d’une des annexes de l’Exposition Universelle de 1937, consacrée aux sports et à la chasse. Elles symbolisent les sources de la Seine du sculpteur Paul Landowski (auteur du Corcovado de Rio de Janeiro).
Le Grand Axe
Endroit symbolique intéressant : la porte Maillot qui croise le Grand Axe qui relie Paris à l’ouest et dont on étudie l’aménagement. L’entrée des terrains du Luna Park se trouve depuis le début du XXe siècle dans une partie de la zone et sur lesquels en 1930 un concours important est organisé pour lequel Le Corbusier imagine d’encadrer l’avenue de La Grande Armée par des gratte-ciels posés sur un échangeur autoroutier. C’est une des premières formulations de l’idée d’une autoroute périphérique de Paris raccordée aux voies existantes.
Le projet d’Auguste Perret, celui d’une espèce de couronne de gratte-ciel qui encadrerait l’avenue de La Grande Armée est encore plus lyrique. Les soixante étages supérieurs sont réservés à l’habitation, les étages inférieurs aux bureaux, magasins, services communs, entrepôts.
Une exception dans les HBM : le square Montsouris (XIVe)
Le parc Montsouris a donné son nom actuel à l’ancien quartier du Petit Montrouge dont les territoires faisaient partie des villages annexés à Paris sous le Second Empire. À proximité, le square Montsouris, allée résidentielle longue de 207 mètres, pavée et abondamment fleurie, bordée de jolies maisons de ville, est un lotissement composé de 62 villas construites à partir de 1923. Réalisées par l’architecte Jacques Bonnier, 28 d’entre elles en briques rouges ou ocres étaient à l’origine des HBM de 1874 à 1949. Aux logements sociaux, ce sont ajoutés dans le même temps des initiatives particulières rivalisant d’originalité. À la création de la rue, ouvriers et artistes – peintres, sculpteurs, écrivains – cohabitent donnant au quartier une tonalité singulière, un dynamisme vigoureux qui a fait place de nos jours à un certain embourgeoisement.
L’architecture du square Montsouris se décline en fantaisie Art Nouveau ou Art Déco, selon des lignes classiques, un graphisme moderne ou encore une silhouette contemporaine.